Subjugué par sa nouvelle employeuse, Raman, un jeune homme plutôt réservé l’accompagne volontairement dans des conditions de vie plus que précaires. Non pour couler le parfait amour, mais pour contraindre les villageois qu’ils rencontrent à utiliser des méthodes contraceptives efficaces. Elle lui a commandé plusieurs enseignes qu’il prépare à ce sujet. En effet dans ce nouveau roman, le peintre d’enseignes, de R. K. Narayan, Daisy, la dulcinée du peintre travaille au planning familial. Nous sommes dans les premières années de dix-neuf-cent-soixante-dix.
Si Daisy apparaît comme résolue, on finit par comprendre que son obsession énergique résulte plus de sa peur de vivre en groupe, contrairement à ce qu’elle prétend, que d’apporter un véritable bien être à celles et ceux qu’elle sermonne.
Le paradoxe de ce roman réside dans le fait que Raman est bien le protagoniste principal, mais notre attention est surtout retenue par la prestation de Daisy.
Elle est volontaire et entreprenante pour faire baisser le taux de natalité du secteur qu’elle supervise. Rien d’autre ne la retient. Et surtout pas le pauvre énamouré qui apparaît bien terne à côté d’elle avec ses petits soucis d’enseignes et d’argent à récupérer. Sans parler de sa vie plutôt monotone dont il se contente fort bien au demeurant.
Hormis le fait trouver de nouveaux clients solvables, son plus gros souci l’incline à se poser continuellement des questions. Auxquelles, bien souvent, il ne sait quelles réponses apporter. Au début du récit, par exemple, malgré son attirance, il refuse tout contact avec les femmes. Il se tient éloigné le plus possible de la tentation. Il vit même avec sa tante déjà bien âgée. Mais dès qu’il croise Daisy toutes ses résolutions s’envolent et le font basculer dans une obsession de sensualité. Ce qui l’amène à presque commettre l’irréparable. Heureusement Daisy sait à quoi s’en tenir à son propos. Elle déjoue sa tentative par une explication métaphorique d’une grande perspicacité.
À force de ténacité tout de même, il semble arriver à ses fins. Il est prêt à accueillir la jeune femme chez lui depuis que sa tante est partie en pèlerinage à Bénarès. Toutefois, obsédée par sa mission, Daisy s’enfuit à nouveau. Sauront-ils se retrouver ?
L’auteur fait évoluer ses personnages dans la ville fictive de Malgudi, en Inde du Sud. Cité qu’il avait déjà utilisée dans Le magicien de la finance et Le guide et la danseuse. Ce qui lui permet tout à loisir de l’agrémenter selon les nécessités de son récit pour nous conter une Inde fort contrastée.
Le point de vue du narrateur omniscient doublé parfois de celui intérieur du protagoniste est une judicieuse trouvaille. Elle permet à l’auteur de mieux décrypter toute l’ambiguïté du comportement de Raman. Sans que celui-ci s’en sorte vraiment, d’ailleurs. Il est plus mu par ses pulsions que par ses réflexions. Car trop souvent elles l’embrouillent et le laissent indécis.
L’écriture s’épanouit au travers d’un classicisme maîtrisé. Le récit chronologique démontre parfaitement toute la distance qui sépare les deux « tourtereaux ». La voix intérieure a un effet jubilatoire pour le lecteur tant la naïveté de Raman l’égare.
Plus qu’un récit féministe, le roman revendique le droit à l’individualisme le plus farouche. Celui de Raman est plutôt inconstant tandis que Daisy ne tolère aucun écart. Elle ne peut vivre sans se consacrer totalement à son choix de vie. De ces deux points de vue radicaux sur l’existence, affleure tout au long du récit, le basculement d’une Inde traditionnelle vers la modernité. La tante part mourir à Bénarès selon les rites hindous les plus intemporels. Alors que Daisy est détachée de tout, résolument indépendante.
Un roman habilement écrit, où sous l’ironie pointe la solitude de chacun.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Le Peintre d’enseignes de R.K. Narayan, roman traduit de l’anglais (Inde) par Anne Cécile Padoux, 224 pages, 9,95, Poche Zulma.