Jusqu’à présent, les éditions Matin Calme nous avaient habitué à la publication de romans policiers. Avec Lapin maudit, le premier recueil traduit en français de la Sud-Coréenne Chung Bora, elles nous transportent dans le domaine du fantastique. Et pas n’importe lequel, celui pur et dur, alors accrochez-vous !
Sept des dix nouvelles se situent à l’époque contemporaine sans plus de précision. Les trois autres sont intemporelles. Elles s’apparentent plus à des contes, d’ailleurs. Toutefois, le fantastique qui sous-tend ces histoires n’est pas toujours du même type. Dans un récit, on a à faire à un aspect essentiellement futuriste. Pour un autre, on est confronté à un fantastique mémoriel. Deux autres nous plongent soit dans une horreur indicible soit dans un surréalisme impromptu, pourrait-on dire. On a beaucoup de mal à situer dans quel genre l’autrice nous immerge. C’est d’ailleurs ce qui en fait toute son originalité.
Quant aux contes, ils n’ont rien de féérique. Leurs protagonistes finissent plutôt mal, eux aussi.
Petit à petit, l’écriture emprisonne le lecteur contre sa volonté. Le style ne laisse aucune échappatoire pour qui ne se méfie pas de sa fausse neutralité. En effet, l’autrice à l’imagination foisonnante assène au travers de ses « divagations » un nombre conséquent de coups sur la tête de l’imprudent curieux jusqu’à lui faire accepter ces mondes pourtant d’illusion.
Si le fond est assez sombre et peu généreux pour l’être humain en général, il faut toutefois reconnaître à Chung Bora une certaine empathie envers les femmes, notamment. Sans être résolument féministe, elle saisit parfaitement quel rôle leur est souvent assigné dans nos sociétés et ce encore actuellement. Par conséquent, elle sait admirablement les mettre en scène. Même si souvent, ses héroïnes ne sortent pas indemnes de ses histoires fantasmagoriques. C’est le moins que l’on puisse dire.
Dans ces récits, faut-il voir les innombrables travers de nos sociétés avec lesquels nous composons plus que nous cherchons à les combattre ? L’autrice ne nous renseigne guère à ce sujet. En tout cas, le lecteur sait à quoi s’en tenir désormais à propos de l’esprit irrationnel de Chung Bora. À quand le prochain frisson ?
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Lapin maudit, de Chung Bora, traduit du coréen par Han Yumi et Hervé Péjaudier, 288 pages, 22€, éd. Matin Calme.