« Avoir l’âme au bord des cheveux est une expression de la langue khmère qui signifie « être mort de peur » prévient Séra en ouverture de son album. Ce sentiment fut partagé par tous les habitants de Phnom Penh en 1975 et plus précisément avant ce fameux 17 avril. « Ce jour-là nous ne le savions pas, mais nous étions tous morts, ou nous aurions dû l’être. »
Et tout l’album se construit autour de ce jour funeste, souvenir de ce jeune adolescent de 13 ans, plus de 50 ans plus tard. Car ce n’est qu’en 1987 que Séra entama « de façon compulsive et spontanée […] un récit de bande dessinée sur la guerre du Cambodge ». Travail de collecte de documents en tous genres mené sur plus de 35 ans et que clôt L’âme au bord des cheveux.
En effet, dans cette bande dessinée, Séra parvient à intégrer tous les fondement qui menèrent à l’anéantissement total de Phnom Penh ce 17 avril 1975. Les Khmers rouges ayant décidé de faire évacuer les villes pour asseoir leur pouvoir. Cette histoire récente du Cambodge est complexe et intimement liée à la guerre du Vietnam. Les Américains y ont donc partie prenante, de même que les Français. La reproduction de Unes de Newsweek, France Soir, Time ou l’Humanité en rend compte.
Et c’est là que la grande histoire rejoint la petite. Séra rend en effet un vibrant hommage à ses parents. Son père, de culture khmère est parti faire de brillantes études en France. Il en revint bardé de diplômes et marié à une jeune Française. 3 enfants naquirent de leur union et c’est son enfance idyllique à l’ombre des frangipaniers du domaine familial que raconte aussi le bédétiste dans une partie de l’album. Leur plus beau terrain de jeu était les temples d’Angkor ! Jusqu’à ce que la guerre fasse irruption dans cet éden.
Ce ne sont plus alors que bombardements erratiques, les Khmers rouges cherchant à « instaurer un état de terreur quotidien ». C’est donc au début de cette année du lièvre que « mon enfance fut derrière moi. Je rentrai dans l’âge adulte » dit Séra se remémorant encore et toujours le funeste jour.
Voilà donc un devoir de mémoire fort réussi de par son allure protéiforme et touffue.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
L’âme au bord des cheveux, album de Séra, 176 pages, 24,95€, collection Mirages, éd. Delcourt. En librairie le 22 février 2023.