Bords du Mékong, années 20, le bûcheron corse Settimo Orsu débarque dans une plantation d’hévéa pour y diriger les coolies annamites et faire régner l’ordre. Il comprend peu à peu les rouages de la société coloniale, sa supériorité supposée et son racisme condescendant. Mais il sonde aussi les locaux en se prenant d’affection pour 2 frères atypiques. Le petit Chân Ly d’abord l’initie à la conversation des arbres et son grand-frère Thien Dyen à la dissidence politique.
La tension monte au fil des pages et des abattages d’arbres plus ou moins justifiables. C’est d’ailleurs le point de départ historique (1) de cette bande dessinée fictionnelle. Orsu, comme chacun des protagonistes de ce théâtre colonial, doit choisir son camp.
Le scénario d’Amaya Alsumard donne la part belle à chacun. Car La querelle des arbres est un récit choral. Chaque personnage est finement campé et apporte un point de vue particulier sur le colonialisme. Ce qui évite ainsi tout manichéisme et la somme du récit est très riche.
Pour ne parler que des plus remarquables de cette galerie de portraits, Blaise Desroches, “l’anarchiste du ciel” est à mi-chemin entre Cendrars dont il emprunte le prénom, la faconde et St Exupéry, aventurier de l’Aéropostale comme lui. Ou bien Cao Minh l’intendant local de la plantation. Diplômé de la Sorbonne, il s’est approprié “la culture de l’émancipation” et la fait circuler dans son pays. Mais aussi la diva au grand cœur, qui se retrouve, un peu par hasard, propriétaire des lieux. « Elle cultive l’extravagance aussi bien que l’hévéa » en offrant chaque mois à ses coolies une séance de cinéma itinérant !
Et puis le plaisir de cette fable politique se double d’une réflexion écologique. En effet, le chamanisme du petit Chân Ly nous renvoie à un défi absolument d’actualité : respecter la nature plutôt que de l’exploiter. Protégeons l’esprit des arbres !
Un dernier mot sur le dessin de Renaud Farace qui, à l’unisson de l’écriture, campe magnifiquement chacun des personnages, mais aussi de toutes leurs aventures rocambolesques aussi bien au village que dans la forêt luxuriante. Et les arbres bien sûr, comme ces banians gigantesques et flamboyants.
Un véritable plaisir de lecture !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) L’idée du livre vient de l’abattage des arbres de tout un quartier de Saïgon sans autre motif que le « confort » des colons français rapporte Renaud Farace en interview.
La querelle des arbres, dessin de Renaud Farace, scénario d’Amaya Alsumard, 224 pages, 30€, éd. Casterman. En librairie le 24 avril 2024.
