Notre société peut être très cruelle. On peut avoir toute la bonne volonté du monde et ne pas arriver à ses fins. On peut vouloir faire quelque chose et ne peut en avoir les moyens. On peut se rendre compte aussi qu’il nous suffirait d’un petit plus pour changer notre vie. Ou bien on souhaite simplement faire plaisir à quelqu’un. Tout ceci vous semble inaccessible. Venez alors tester les allumettes chimériques proposées par une étrange petite fille. Si vous exprimez un souhait au moment où vous en allumez une, celui-ci se réalisera. Mais attention : chaque boite d’allumettes vous coutera 1 an de vie. Ce qui est exaucé, ce ne sont pas des rêves mais des chimères. Et comme celles-ci manquent d’imagination, elles peuvent prendre des formes inattendues…
Librement inspiré du conte d’Andersen, La Petite Fille aux Allumettes nous montre avant tout les réactions des « clients » face à leur choix. Que ce soit pour eux-mêmes ou pour avoir un avantage sur les autres, ils ne se rendent pas compte de tout ce qu’impliquent les changements. Et la plupart du temps, cela finit mal, que les chimères apparaissent suite à une réflexion ou après une décision prise sur le vif. Il s’agit de la problématique habituelle lorsque l’on se retrouve face à la possibilité de faire des vœux, surtout une grande quantité comme ici. Cependant les situations sont un peu biaisées car les clients sont souvent dans une prédisposition idéale pour se tourner vers cette magie. Et cela nous amène à Rin, la petite fille elle-même. Qui est-elle ? Qu’est-elle ? D’où vient-elle ? Quel est son but ? Elle tient un magasin dans un immeuble normal, elle dort et mange comme un humain. Mais elle apparait et disparait comme par enchantement, tout en utilisant constamment des allumettes. Or n’oublions pas qu’une boite de 50 coûte une année de vie ! Récupère-t-elle le paiement de ses clients pour elle-même ? Et cela vaut aussi pour sa « concurrente » Chim, encore plus mystérieuse, sa capacité d’exaucer les rêves semblant encore plus intrigante et incontrôlable. Même si petit à petit, nous en apprenons plus sur Rin, son quotidien (comme son jour de repos le mercredi), le fond de sa pensée, l’important reste la réaction des clients face à un « pouvoir magique » qu’ils détiennent un moment. Leur « introspection » permet de donner libre cours à la mangaka qui se permet des cadrages inhabituels et des gros plans sur des visages très expressifs. L’univers de cette œuvre prend alors l’apparence de rêves éveillés, renforçant le côté fantastique des histoires. Si le personnage étrange de Kurage, « l’assistant » de Rin, donne un nouveau point de vue, reste à découvrir si le sujet de ce manga arrivera à se renouveler sur la longueur : celui-ci peut en effet mener vers des sujets très variés mais aussi très répétitifs. Dans l’état, ce titre reste original, assez bien réalisé et divertissant, avec une pointe de réflexion. Il mérite donc un coup d’œil, ne serait-ce que pour son humour, bien présent même si l’auteur semble bien pessimiste sur la nature humaine, mais pas envahissant.
Fabrice Docher
LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES (THE LITTLE MATCH GIRL) volumes 1 et 2 de Sanami SUZUKI (2014)
Fantastique / comédie / drame, Japon, Komikku éditions, mars 2017, 196 pages chacun, livres brochés 7.90 euros