L’écriture chinoise a ceci de particulier, qu’elle a pour origine la science divinatoire vers la fin du XIIe siècle avant notre ère. Alors qu’en Occident, elle est issue directement de la langue parlée. Les sons y sont donc graphiquement représentés pour former des mots. Au contraire, dans l’écriture de l’Empire du Milieu, la langue parlée n’intervient à aucun moment. Les pictogrammes représentent les choses et les idées. Leur association éventuelle donnent les idéogrammes. Ce qui fait que deux Chinois d’ethnies différentes ne se comprennent pas à l’oral, mais communiquent aisément par écrit.
C’est ce que nous apprend Léon Vandermeersch dans son ultime opus très érudit. Ce spécialiste du confucianisme est décédé l’an dernier à l’âge de 93 ans. Il livre ici une fine analyse sur l’évolution de l’écriture chinoise.
De plus, il nous décrit comment les devins commentent leurs divinations sur des carapaces de tortue ou des omoplates de cerf. Très vite, ce nouveau moyen de communication leur donne un immense pouvoir. En effet, ils étendent leurs commentaires issus de leur pratique oraculaire spécifique à tout ce qui touche l’administration de l’empire. Toutefois, nous restons encore dans une protolittérature. Pour le dire autrement : elle est purement utilitaire.
C’est au travers de la réécriture des rites et des odes des Zhou que Confucius (6ème siècle avant notre ère) fait entrer la littérature dans le champ artistique. Il réécrit nombre de chants populaires trop peu moraux, à son goût, pour en faire le canon poétique de la morale politique.
L’auteur dans un souffle narratif, peu commun, nous dévoile toute la complexité de l’histoire de l’Empire du milieu, sur près de 3 500 ans, au travers de ce qu’elle a de plus unificateur : son écriture idéographique. Il y manque peut-être une chronologie des principales étapes de la conception scripturale pour mieux guider le lecteur dans ce fourmillement à la richesse sans pareil. Un ouvrage, donc, à lire impérativement pour qui cherche à comprendre, au plus juste, la pensée chinoise.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
La littérature chinoise, littérature hors norme , Léon Vandermeersch, 112 p., 12€, Bibliothèque des sciences humaines, nrf, éd. Gallimard. En librairie le 20 janvier.