De tout temps, le joug mongol est considéré comme un fléau. Toutefois, Marie Favereau démontre dans son magistral essai, La Horde, comment les Mongols ont changé le monde, qu’il faut grandement revoir cet a priori. Si, bien sûr, l’empire gengiskanide exerce une domination effective sur toute l’Eurasie de 1206 à 1516, ce n’est pas de façon aussi brutale que l’historiographie russe et plus encore celle soviétique en son temps, veulent bien s’en persuader. En effet, partout où se répandent les guerriers des steppes, l’herbe continue de pousser.
La « Horde d’or » ou « le Khanat de Qipchaq » résulte du partage des conquêtes territoriales de Gengis Khan entre ses quatre fils. Elles couvrent un territoire allant des diverses principautés russes jusqu’ en Asie Centrale. Toutefois, très vite, le khanat marque une nette indépendance vis-à-vis du pouvoir impérial de Quaraqorum. En effet, la non désignation de Jochi, le fils aîné de Gengis Khan, comme son successeur éloigne ses descendants de l’empire. Et, par conséquent, distend les liens de vassalité avec le Grand Khan, très loin à l’Est.
Ce qui ne les empêche pas de prospérer comme jamais. Puisqu’après avoir soumis un territoire, les descendants de Jochi ne demandent que deux choses à leurs nouveaux sujets. Premièrement : une totale soumission et reconnaissance du Khan comme leur suzerain. Deuxièmement : le versement annuel d’un tribut. Si bien que de nombreux ennemis se retrouvent à guerroyer aux côtés des Mongols.
Le plus remarquable, c’est que ces conquêtes ne sédentarisent jamais les nouveaux maîtres. Ils continuent à nomadiser en fonction des saisons. C’est pour cela qu’il leur faut des sujets productifs sans pour autant les soumettre en esclavage.
De plus, sous la coupe des Mongols, les conditions de vie changent peu, voire s’améliorent pour les peuples intégrés. Notamment, le commerce est valorisé, car très profitable à la caste dirigeante. Les us et coutumes de chacun sont conservés sans restriction. Tout comme les religions sont toutes acceptées sans aucun prosélytisme de la part des conquérants.
Mieux encore, les dignitaires religieux sont exemptés de taxes. Cette faveur leur permet d’adhérer pleinement à l’empire par l’intermédiaire de la Horde et ainsi, ils entraînent leurs ouailles à accepter le nouvel ordre.
Grâce à ce pertinent ouvrage, qui ne nie pas les massacres perpétrés par les Mongols, le lecteur saisit parfaitement comment ils procèdent pour conquérir toujours plus de territoire et, surtout, comment ils s’imposent comme chefs incontestés.
Si bien qu’une des conséquences majeures de ce processus, paradoxalement, conduit à l’unification des cités slaves. Cela permet à ces dernières, à partir de 1480, de se lancer à la reconquête de leurs territoires perdus jusqu’à les entraîner à occuper toute la Sibérie à leur tour.
Voilà donc un ouvrage d’autant plus édifiant que, jusqu’à présent, les récits n’existent que du point de vue des peuples soumis, notamment les Russes. Ce qui les rend excessivement partiaux et donc peu enclins à restituer une réalité nuancée.
Ce regard nouveau sur les peuples dits « barbares » permet ainsi au lecteur de relativiser sa perception déformée des invasions. Et ainsi, de mieux appréhender cette « première mondialisation ».
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
La Horde, comment les Mongols ont changé le monde, 432 pages, 25€, Marie Favereau, éd. Perrin. En librairie le 16 février 2023.