Shaka a quarante ans passés. Elle souffre depuis vingt-neuf ans de « myopathie myotubulaire », une maladie musculaire congénitale. Elle ne peut vivre sans fauteuil roulant ni respirateur. Incapable de parler communément, elle communique principalement par messagerie. Grâce à la fortune de ses parents, elle est à l’abri du besoin et loge dans un foyer de vie qu’ils ont eux-mêmes créé et dont ils ont choisi les intervenants.
Par Internet, elle rédige des publi-reportages, des articles, écrit des romances salaces voire pornographiques, sous le charmant pseudonyme de « Fleur de soie ». Ellle twitte aussi beaucoup et revendique son rêve de « tomber enceinte, avorter et larguer le père » comme une humaine normale ! Elle sait bien qu’elle ne peut pas accoucher.
Le propos est provoquant, à la hauteur de ce que la société japonaise fait endurer à ses handicapés, les rejetant à la marge. Elle s’insurge alors contre le validisme en vigueur, contre « le privilège orgueilleux » de pouvoir lire un livre papier, se déplacer à la librairie pour l’acheter. Pour elle « chaque fois que je lis … mon dos se tord un peu plus ». On comprend mieux l’importance du livre électronique qui permet de ne pas avoir à tourner physiquement les pages. Elle ressent l’injustice dans sa chair. Elle se tenait le dos bien droit en classe, pourtant c’est elle qui a le dos vrillé. À cause de son « schéma de montage de traviole ».
L’humour est sa marque de fabrique autant que la provocation. La traduction impeccable de Patrick Honnoré en rend bien compte. Alors lorsqu’un des aides-soignants qui s’occupe d’elle découvre son compte, il pourrait bien y avoir du nouveau…
La Bossue, roman semi autobiographique et décapant, résonne comme un coup de gueule d’une handicapée contre le validisme de la société contemporaine. Elle revendique une certaine autonomie et surtout le droit au désir.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
La Bossue de Sao Ichikawa, roman traduit du japonais par Patrick Honnoré, 96 pages, 14 €, éd. Globe. En librairie le 3 septembre 2025.