Au Japon, il y avait les Yokai qui rapprochaient le pays de l’univers de Jérôme Bosch. En littérature, il y a aussi les personnages de Yôko Ogawa. On connaissait déjà le hamster condamné à toujours regarder avec clairvoyance car il ne pouvait fermer les yeux dans Les Paupières. Dans son nouvel opus , il s’agit d’un vieillard à l’œil gauche d’ambre qui fait vivre les défunts. Sa petite sœur morte à l’âge de 4 ans contaminée, selon les dires de sa mère, par un chien maléfique qui l’aurait tuée en la léchant, par exemple. A partir de ce tragique événement, la mère enferme ses 3 autres enfants dans une maison avec une grande cour aux hauts murs. Ils vivent alors dans une véritable claustration familiale, à l‘abri de toute menace extérieure dont les protège leur mère. Mais petit à petit, cet extérieur s’insinue dans le jardin par l’intermédiaire d’un âne, d’un colporteur à vélo qui apporte le monde entier avec lui. Un des enfants parvient même à sortir et une dame finit par découvrir leur détention…
Une fois de plus, toujours mystérieuse, Yôko Ogawa nous transporte aux limites de l’hermétisme, à travers, cette fois-ci, la folie d’une mère. Tout en protégeant ses enfants, elle les coupe et les retire du monde. Cependant avec une infinie douceur, voire candeur. L’écriture sobre, suggestive laisse une très grande liberté d’interprétation au lecteur. C’est sa marque de fabrique, le fantastique y est impressionniste. Au travers d’encyclopédies léguées par leur père et que lisent les enfants, ces derniers inventent des jeux olympiques dont ils ne connaissent pas les règles et les commentent de même. Le décalage est drôle et montre leur innocence.
Le roman est dense et crée un univers total tant intérieur qu’extérieur à la maison et à la famille. Un roman précieux comme l’ambre de son titre et le nom minéral que les enfants se donnent sur ordre de leur mère.
Camille Douzelet et Pierrick Sauzon
Instantanés d’ambre de Yôko Ogawa, traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, Actes Sud, 304 pages, 22,50 €.