Au Japon, le seppuku, est bien connu comme une forme de suicide rituel. Pour ce qui est des kamikazés, leur attitude pendant la seconde guerre mondiale n’en est absolument pas un, nous dit, Christian Kessler dans son dernier ouvrage, Les kamikazés 1944-1945.
Bien que volontaires, ces jeunes hommes n’ont pas du tout envie de mourir. Ils ont toute la vie devant eux. Mais la guerre les a rattrappés. Pour l’essentiel, ils sont recrutés dans les universités de lettres. Les étudiants en physique sont épargnés, eux. Ils sont bien plus utiles aux militaires qu’un ramassis d’empêcheurs de tourner en rond.
Un riche chapitre égrène les conditions de l’apparition et de la mise en œuvre du tokubetsu-kôgeki tokkô : le corps spécial d’assaut, à partir d’octobre 1944. L’embrigadement ira en s’intensifiant au fur et à mesure de l’avancée des forces américaines vers la métropole. L’auteur nous parle de six mille kamikazés pour un total de quinze-mille attaque-suicides en tout chez les Japonais face aux USA.
Ensuite, Christian Kessler en vient au sujet même de son ouvrage, à savoir : la centaine de lettres, de testaments et de poèmes inédits dont il nous présente la teneur avec force détails. Ces documents sont essentiellement destinés à la famille. Toutefois, les courriers, notamment, sont très souvent exposés à la vue de la population pour qu’elle adhère pleinement à l’effort de guerre dans un basculement psychologique inconditionnel pour sauver l’Empire. Puis ils rejoignent le sanctuaire shinto Yasukuni :Yasukuni jinja, où tels des dieux, les kamikazés, devenus Kimwashi : aigles divins, sont reçus avec des cris de joie par leurs prédécesseurs.
Bien sûr, la censure veille. Ce qui fait que la teneur des courriers est essentiellement tournée vers la mère, les fleurs de cerisier ou les relations de parenté. Pas de propos militaires, encore moins défaitistes, enclins à démoraliser les civils. Malgré tout, quelques textes passent sous le manteau sans nous apprendre, pour autant, ce que ressentent leurs auteurs. Sans doute, pour la plupart, sont-ils déjà passés de l’autre côté.
Il est à noter que, selon la tradition du bushido, certains pilotes (on a à faire à des apprentis lettrés, après tout), rédigent un jisei (1), un poème d’adieu à la mode samouraï. Là, transparaît mieux le ressenti du rédacteur : « insipides jisei des kamikazés / que les journalistes / encensent ».
On peut appréhender au travers de certains poèmes ou lettres toute la complexité intérieure de ces jeunes gens emportés dans un typhon nihiliste qui les condamne à une mort certaine, mais qu’ils doivent dépasser.
Voilà un ouvrage édifiant écrit avec une perspicacité incontestable pour mieux nous aider à comprendre ces jeunes hommes volontaires soumis dont la vie, pour l’essentiel d’entre eux, leur fut refusée par un aveuglement d’officiers supérieurs séniles et obtus.
Voilà une brillante démonstration de la folie humaine que celle de se prendre pour des dieux.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON