C ‘est à Mumbai, ville natale du scénariste multiprimé Ram V, que se déroule l’album Grafity’s Wall. Il met en scène 4 adolescents, 4 amis. Chacun a son rêve et fait tout pour le réaliser.
Suresh Naik alias Grafity « peinturlure tous les murs de Sarovar ( un quartier chic ) avec ses…machins »dixit l’inspecteur Saab qui l’interroge. Jay ou Jayesh, casquette à l’envers rivée sur son crâne et sparadrap sur les joues plaide sa cause, bakchich à l’appui, lui faisant remarquer son incroyable talent.
Son rêve à lui c’est d’être « une vraie star du Hip Hop » alors que sa grand-mère (avec qui il vit) souhaite seulement qu’il ait un travail régulier. Laveur de voitures par exemple. Le salaire misérable que lui propose le directeur méprisant et hautain le fait s’enfuir vers son job dangereux mais qui rapporte. En effet, il est livreur de coke dans les hôtels de luxe pour Mario, un protecteur pas toujours sympathique.
C’est que Graphity et Jay viennent du « chawl d’Melo », un ensemble de logements pauvres comme on en trouve beaucoup à Mumbai. Ils se retrouvent le long du seul mur qui reste après que les bulldozers ont rasé tout un quartier empli de taudis déclarés « impropres à l’habitation ». Graphity en a fait une véritable œuvre d’art. D’où le titre de l’album.
C’est aussi là qu’écrit Chasma, un jeune étudiant qui vient de loin, Manipur au nord de l’Inde. Son allure « chinki » (« chinetoke »), son embonpoint le font moquer. Il a trouvé un job pour payer son loyer : serveur au Dragon Wok. Son rêve à lui c’est être écrivain. Alors il écrit des lettres, d’abord à sa sœur puis à n’importe qui.
Et puis il y a Saira, la jeune chanteuse vivant en foyer, qui rêve de percer et que Mario a prise sous son aile lui faisant miroiter ses appuis. Chasma en tombe immédiatement amoureux.
Mais il faut lire les 4 chapitres et l’épilogue consacrés à ces artistes en herbe. Pour connaître leurs interactions d’abord et savoir s’ils réussiront à rentrer de plain pied dans la ville tentaculaire et y réussir malgré le rejet et l’exclusion.
Mais le scénario de Ram V, comme le dessin prodigieux d’Anand RK, ne se contente pas de cette narration somme toute très classique de ces initiations croisées. En effet, le récit laisse régulièrement place à des séquences sans paroles, centrées sur la ville, son grouillement incessant, sa vitalité et sa dureté aussi.
Le style d’Anand RK est totalement surprenant. Il a l’allure un peu trash propre aux indépendants bien loin du graphisme soigné de la bande dessinée classique. Saturation des couleurs, flirtant avec le Pop Art parfois, avec le psychédélisme aussi. Le dessin épouse les différentes atmosphères de la ville avec précision. Il n’y a qu’à voir la pertinence des crayonnés.
L’image de l’« American Chop Suey »que donne le cuistot du Dragon Wok à Chasma pour lui faire comprendre Mumbai peut s’appliquer aussi à l’album : « impossible de comprendre comment ça fonctionne ou qui sont tous ces gens et d’où ils viennent. Mais au goût ? Un délice. »
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Grafity’s Wall, scénario de Ram V, dessin d’ Anand RK, coll. Urban Indies, éd. Urban Comics.