À Tokyo, Muraki sort de prison pour un meurtre commis 3 ans plus tôt. Il réintègre alors son clan de yakuzas. Dans son cercle de jeux habituel, il rencontre Saeko, une jeune femme totalement libérée qui s’enivre du hanafuda, le « jeu des fleurs » en misant des sommes toujours plus élevées. C’est donc elle la Fleur pâle du titre.
Masahiro Shinoda fait partie des cinéastes de la Nouvelle Vague japonaise dont on a surtout retenu Nagisa Oshima. Cependant, l’exaltation et la nervosité de Shinoda le rendent emblématique du mouvement des années 60. Dans ce film par exemple, il joue frénétiquement avec sa bande son, bien aidé par la musique de Toru Takemitsu.
La scène inaugurale du film reflète à merveille l’audace du cinéaste. Cherchant à reprendre la structure cérémonielle chère aux yakuzas, elle plonge le spectateur dans un cercle de « jeu des fleurs », entre ombres et lumières, rythmé par le clapotis des fameuses petites cartes de bois que le réalisateur n’a pas hésité à remplacer à nos oreilles par un jeu de claquettes !
Dans cet univers interlope, la frêle et jeune silhouette de l’actrice Maroko Kaga, épouse d’Ozu à la ville, est aussi magnifiquement mise en valeur par les jeux de cadrages subtils du réalisateur et les contrastes résolument audacieux. La restauration 4K donne une ample profondeur à cette femme fatale qui n’en sait pas moins où elle va, fendant la nuit à vive allure dans sa voiture de sport.
Son association avec Muraki, cet homme de main somme toute ordinaire bien que très viril les rend tous deux aussi perdus l’un que l’autre. Shinoda dit avoir vu dans le personnage du yakusa le symbole du « Japon pris dans la Guerre froide entre les USA et l’URSS. Le Japon était plongé dans la confusion, on ne savait plus quoi faire ». Saeko symboliserait alors le Japon nouvellement occidentalisé. Muraki, devant faire face au renouveau de son clan et plus largement de la société japonaise qu’il peine à reconnaître, est en pleine désillusion.
Le film peut en tous cas se voir comme une critique de la jeunesse d’après guerre. Muraki ne s’y retrouve plus. Ses valeurs ont disparu. C’est le choc des cultures. Et même s’il est fasciné par Saeko, il ne couche pas avec elle. Il est désabusé. Que peuvent-ils alors vivre ensemble ?
À découvrir sur grand écran pour apprécier toute l’atmosphère glauque des tripots clandestins !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Fleur pâle, film de 1964, Masahiro Shinoda, avec Ryo Ikebe, Mariko Kaga… Japon, 1964, distr. Carlotta. En salle le 31 mai 2023.