À l’été 1939, alors que l’Europe est à la veille de la Seconde Guerre mondiale, trois jeunes gens, Héro, Eff et Cheveux Rouges s’embarquent à Marseille. Eff pilote l’hydravion qui les emmène en Asie. Chacun est porteur d’un ordre de mission secret. Loin du regard occidental autocentré, le roman, Fermer les yeux me réveille, de Pierre Bau développe une grande fresque historique ancrée en Asie du sud est et en extrême orient. L’Europe n’est donc pas le centre de l’histoire, mais l’objet de la curiosité asiatique. Dès le début, la narration alterne entre souvenirs intimes, rêves et tumulte du présent. Tout cela plonge le lecteur dans une atmosphère à la fois mouvante et ordonnée.
À travers le parcours des protagonistes, Pierre Bau dresse le portrait d’une époque de bouleversements et de découvertes pour des occidentaux bien loin des us et coutumes asiatiques. Voir les scènes dans les pagodes illuminées où les fêtes religieuses qui rythment le quotidien. Elles témoignent de la part de l’auteur d’une attention au détail et d’une volonté de rendre les spiritualités locales au plus près de leur authenticité. Comme ce temple qui accueille les délaissés, les chiens errants et les mendiants. Il devient le symbole d’une société en transition pour abriter autant les vivants que la mort. Cette dernière rôde partout, d’ailleurs. Elle prend la forme d’un bonze qui vient d’expirer au petit matin, ou elle engloutit dans les flots le père d’un des personnages. Ces deuils, ponctuent le roman d’un sentiment de fragilité, redoublé par la tension du voyage et l’imminence de la guerre.
Les protagonistes sont autant confrontés à la perte qu’à des situations de survie et de courage. Par exemple, Eff doit affronter une torpille en pleine mer du Nord. En un clin d’œil, il décide de dévier le navire. Ce qui montre sa capacité d’adaptation et sa force intérieure, tout comme celles de ses camarades pour d’autres actions périlleuses.
Tout au long du récit, Pierre Bau adopte un ton retenu et pudique mais lucide sur les réalités qu’il expose. Il refuse d’extrapoler ou d’enjoliver les situations parfois graves et complexes. Pour autant, il sait transmettre la saveur du quotidien asiatique : les repas frugaux des bonzes, les écoles où la fièvre confine à l’onirisme. Les rites et les croyances scandent la vie de tout un chacun.
La structure du roman, faite de fragments, de retours en arrière, de saynètes, entremêle introspection et témoignages de chacun. Elle invite le lecteur à une immersion totale dans des mondes parfois fort déroutants, comme l’Inde (les Indes, devrait-on dire ?).
Loin d’une aventure héroïque classique, le texte révèle peu à peu la vulnérabilité et l’humanité de ses personnages. Il donne à voir une Asie traversée par les soubresauts de l’Histoire et l’incertitude des lendemains. Il rappelle également la beauté du monde à la veille du chaos.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Fermer les yeux me réveille de Pierre Bau, 648 pages, 24 € livraison comprise sur https://www.gope-editions.fr

