Le narrateur, écrivain, est interrompu dans son travail, par un coup de téléphone de son ami Sonomura. Ce dernier ne fait pas mystère de son dérèglement mental. Son acolyte en a bien conscience. Il accepte cependant sans trop de réticence son invitation à assister à un meurtre ! Après de multiples péripéties dans les bas-fonds de Tokyo, coincés entre deux masures, l’œil rivé à un trou, lls croient assister à un crime sordide orchestré par une femme diabolique. Sonomura en tombe éperdument amoureux et fait tout pour la rencontrer. Il y parvient et invite, cette fois, son ami à assister à sa propre mort ! Dans ce jeu de dupes, on peut se demander qui manipule qui et dans quel but ?
On connaît Tanizaki Jun’ichirô pour son fameux essai Eloge ou louange de l’ombre, selon les traductions. C’est aussi un formidable romancier quasi nobelisé. Il a revisité tous les genres du roman. Et dans ce texte de 1918, inédit, c’est le policier et le psychologique. En effet l’intrigue est ici fondée sur un message codé, clin d’œil à Edgar Allan Poe. La scène du meurtre est très théâtralisée et structurée comme une scène de Nô. Elle est aussi des plus sensuelles de par la beauté énigmatique de la femme. Et nos deux compères y assistent en voyeurs de plus en plus captivés ! Nous ne connaissons de l’enquête de Sonomura que ce que nous en rapporte le narrateur. Et la dernière partie du récit nous révèle tous les degrés de manipulations. On retrouve ainsi là les obsessions de l’auteur : voyeurisme, jeux de miroirs, mise en abyme et apparences trompeuses.
Le roman nous incite donc à ne pas croire à tout ce qu’on voit !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Dans l’œil du démon, Tanizaki Jun’ichirô, traduit du japonais par Patrick Honnoré et Ryoko Sekiguchi, 136 P. 14€, éd. Philippe Picquier. En librairie le 3 octobre 2019.